di Carlo CALDARINI (*)A volte alcune cifre valgono più di lunghi discorsi. Tra il 2008 e il 2016, 12.000 cittadini dell’Unione Europea hanno ricevuto l’ordine di lasciare il territorio del Belgio. In altre parole, sono stati espulsi per motivi definiti “economici”.
Avrebbero, secondo le autorità del nostro paese, un ‘peso irragionevole’ sul sistema di assistenza sociale. L’Europa della libera circolazione dei lavoratori esisterà pienamente solo quando si avrà una previdenza sociale unificata e norme sociali armonizzate. E ‘da lì che la mobilità dei lavoratori cesserà di avere un impatto diretto sulla redditività del capitale.
Tra il 2011 e il 2016, circa 12.000 cittadini dell’Unione Europea hanno ricevuto l’ingiunzione di lasciare il territorio del Belgio [1]. In altre parole, sono stati espulsi dallo stesso Ufficio Immigrazione, dove di solito sono in fila richiedenti asilo e migranti privi di documenti. Non per aver infranto la legge, ma per ragioni cosiddette “economiche” [2].
Sono state 2.042 nel 2014, 1.702 nel 2015 e 720 nei primi sei mesi del 2016 (figura 1). Secondo le autorità belghe, costituirebbero tutti un ‘onere irragionevole’ per questo paese di undici milioni di abitanti, che ospita tra l’altro la capitale d’Europa.
Le argomentazioni giuridiche alla base delle espulsioni sono numerose e troppo complesse da spiegare qui. [3] Ma siamo in grado di ridurle sinteticamente a due categorie principali: quelli che, nonostante la loro carta d’identità europea vengono espulsi sono per lo più uomini e donne che lo Stato belga ritiene non dispongano di “risorse economiche sufficienti” o disoccupati in cerca di lavoro che non presenterebbero una prova tangibile “di avere la concreta possibilità di trovarne uno” in un tempo relativamente breve. Si tratta, soprattutto, di persone che ricevono o un sussidio sociale o un assegno di disoccupazione e che hanno lavorato meno di un anno in Belgio [4] (continua in Francese…)
Parfois certains chiffres valent plus que des longs discours. Entre 2008 et 2016, 12 000 citoyens de l’UE se sont vu délivrer un ordre de quitter le territoire de la Belgique. En d’autres mots, ils se sont fait expulser, pour des raisons dites « économiques ». Ils constitueraient, selon les autorités de notre pays, une « charge déraisonnable » pour le système d’assistance sociale.
L’Europe de la libre circulation des travailleurs n’existera pleinement que lorsqu’elle disposera d’une sécurité sociale unifiée et de normes sociales harmonisées. C’est à partir de là que la mobilité des travailleurs cessera d’avoir des effets directs sur la rentabilité du capital.
Entre 2011 et 2016, environ 12 000 citoyens de l’UE se sont vu délivrer un ordre de quitter le territoire de la Belgique1. En d’autres termes, ils se sont fait expulser par le même Office des étrangers devant lequel font habituellement la file demandeurs d’asile et personnes sans papiers. Et non pas pour avoir enfreint la loi, mais pour des raisons dites « économiques »2.
Ils étaient 2 042 en 2014, 1 702 en 2015 et 720 pour les six premiers mois de 2016 (Figure 1). Selon les autorités belges, ils constitueraient, tous, une « charge déraisonnable » pour ce pays de onze millions d’habitants, qui abrite entre autres la capitale de l’Europe.
Les arguments juridiques à la base de ces expulsions sont nombreux et trop complexes pour les exposer ici3. Mais nous pouvons pédagogiquement les réduire à deux catégories principales : ceux qui malgré leur carte d’identité européenne se font expulser sont pour la plupart soit des personnes que l’État belge considère comme ne disposant pas de « ressources économiques suffisantes », soit des chercheurs d’emploi de qui on exige la preuve palpable « d’avoir la chance réelle d’en trouver un » dans un délai relativement court. Il s’agit, pour la plupart, de bénéficiaires d’une aide sociale et de chômeurs indemnisés ayant travaillé moins d’un an en Belgique4.
Ceux qui ont la chance d’avoir un emploi en ces temps de crise, eux, sont par contre mieux protégés par la législation de l’UE qui, pour encourager la « libre circulation de la main-d’oeuvre », en interdit en ligne de principe l’expulsion. Et pourtant, en Belgique les travailleurs n’échappent pas tous à l’artillerie de l’Office des étrangers, surtout lorsqu’il s’agit de petits indépendants, artistes, intérimaires ou frontaliers. Même s’ils ne demandent aucune aide à l’État, celui-ci redoute qu’un jour ces travailleurs étrangers pourraient bien y prétendre, faute de revenus plus consistants et stables. S’agissant en somme de travailleurs pauvres, mieux vaut toujours prévenir que guérir.
Il était une fois l’Europe
25 septembre 1958. Le traité de Rome instituant la CEE n’était en vigueur que depuis quelques mois à peine, et seulement les langues officielles et le statut des fonctionnaires avaient été jusque-là établis. De concert avec leurs homologues des cinq autres pays fondateurs, les représentants gouvernementaux de la Belgique souscrivirent ce jour-là leur premier acte véritablement politique : un règlement contraignant, concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, dont le principe de base était l’interdiction de toute discrimination vis-à-vis des travailleurs ressortissants d’un autre État membre, dans le but de ne pas créer d’obstacle ou de dissuasion à leur libre circulation.
Fut ainsi mis concrètement en place la première des quatre libertés de circulation (des travailleurs, des marchandises, des services et des capitaux), qui devint de ce fait un des piliers du nouveau marché commun. Des pays comme la Belgique, alors en pénurie de main-d’oeuvre, en ont bénéficié largement.
Aujourd’hui, la liberté de circulation dont nous, les citoyens européens, disposons assure une double fonction : socioéconomique (la régulation du marché du travail) et politique (l’affirmation de la citoyenneté européenne).
Ces deux fonctions ayant toujours marché sur deux voies bien distinctes, la circulation des personnes est à nos jours celle des quatre libertés qui est la moins bien assurée. Et la plus malmenée, aussi, certains États membres, comme le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne, ouvrant en ce sens la marche.
Concernant la Belgique, la Commission européenne nous avait déjà mis en demeure en 2013, pour le non-respect des règles en matière de libre circulation. Mais ceci n’a eu comme résultat qu’une diminution du nombre d’expulsions, sans que la pratique ne soit véritablement remise en question.
(Figure 1).
Figure réalisée par l’Auteur à partir de données de l’Office des Étrangers (http://bit.ly/1vHzUyt)
Associé au destin de milliers de citoyens européens, le terme « expulsion » prouve que le risque n’est pas limité aux « autres ». Bien au contraire, personne n’est à l’abri aujourd’hui des nationalismes et des xénophobies.
Offusqués par les milliers d’autres migrants qui chaque jour risquent leur vie à travers le monde, et rassurés par la pauvreté des plus pauvres, qui nous permettent – au bout du compte – de garder notre place dans l’échelle sociale, nous les Européens on se croyait plutôt à l’abri. Mais non, cela nous concerne tous. Même les plus de 500 000 Belges vivant actuellement à l’étranger ne sont pas vaccinés contre d’éventuelles expulsions. Le Brexit nous en fournira probablement bientôt la preuve.
Un mécanisme bien plus étendu et tentaculaire
Oui, c’est assez choquant en somme. Et pourtant cette masse d’Européens chassée de notre pays, ce n’est qu’un épiphénomène, la manifestation d’un mécanisme bien plus étendu et tentaculaire, qui ne se limite pas à l’éloignement concret de la personne par rapport à son terrain de vie. L’éloignement se concrétise aussi par rapport à nos droits fondamentaux, par une sorte de découplage entre travail et protection sociale, ou entre citoyenneté et libertés.
En juillet 2016, pour donner un exemple, le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Theo Francken (N-VA) a annoncé son projet de refuser dorénavant l’accès au revenu d’intégration sociale (RIS) aux citoyens européens, « afin d’éviter les abus »5. Si un Européen veut rester plus de trois mois en Belgique, il doit travailler, prouver qu’il a des chances réelles de trouver un emploi dans les 6 mois, ou disposer de ressources financières suffisantes. Lorsqu’il touche un revenu d’intégration sociale durant trois mois d’affilée, il devient automatiquement une « charge déraisonnable » et il doit être donc « éloigné ».
Peu importe qu’aujourd’hui même le travail ne met plus à l’abri de la pauvreté. Ou qu’en Belgique la durée moyenne d’inoccupation est de plus de six mois pour 80% des demandeurs d’emploi, y compris les ressortissants nationaux.
Et peu importe aussi que, selon le droit européen, un ressortissant d’un autre État membre ne devrait jamais être traité différemment des ressortissants nationaux6. Le secrétaire d’État « veut révolutionner ce système », indique son cabinet : il serait pour « une approche préventive ». Voilà, c’est justement ça : il veut prévenir.
Si le refus du RIS reste pour le moment au stade de menace, un changement important est passé inaperçu, concernant la prise en compte des périodes de travail accomplies à l’étranger. Selon les accords en vigueur au sein de l’UE, si vous avez travaillé dans plusieurs États membres et vous perdez à un certain moment votre emploi, vous devez aller réclamer vos allocations de chômage à l’État de votre dernier emploi. Et dans le calcul de vos prestations, l’institution compétente de cet État (l’Onem pour la Belgique) doit tenir compte de toutes vos périodes de travail, « comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation nationale qu’elle applique » (Règlement (CE) n° 883/2004).
En d’autres mots, un jour, un mois ou un an de travail prestés en Espagne, en Italie ou en Pologne, doivent être incontestablement considérés équivalents à un jour, un mois ou un an de travail prestés en Belgique ou dans tout autre pays de l’UE. C’est cette règle, d’ailleurs, qui a permis en 1958 la création et la mise en place de la libre circulation, faisant en sorte que les travailleurs migrants « ne subissent pas de réduction du montant des prestations de sécurité sociale du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation » (Cour de justice de l’UE).
Eh bien, chez nous cette règle n’est plus d’application, l’État belge l’ayant unilatéralement rayée de sa propre législation sociale. Depuis le 1er octobre 2016, les périodes de travail effectuées à l’étranger peuvent uniquement être prises en compte si elles sont suivies d’au moins trois mois de travail en Belgique. Ainsi formulé, ce n’est pas choquant. Et pourtant c’est une bombe à retardement jetée aux pieds de la libre circulation des travailleurs.
Imaginez par exemple un citoyen européen – belge ou non belge, peu importe – ayant travaillé et cotisé dix ans en Espagne, en Allemagne ou en France. Imaginez que ce citoyen reste à un certain moment au chômage en Belgique, après y avoir travaillé deux mois à peine. Selon les règles européennes, ce travailleur doit pouvoir réclamer ses allocations de chômage en Belgique, où l’on doit tenir compte de la totalité de ses dix ans de travail et d’assurance. Selon la nouvelle règle belge, ce travailleur n’a droit à rien pour le moment, ni en Belgique ni ailleurs. Peu importe que l’allocation de chômage soit une prestation assurantielle, dont le droit découle des cotisations versées par la personne, et pas une aide sociale payée par la fiscalité générale : Ce citoyen sera dorénavant exclu de la sécurité sociale, du seul fait d’avoir exercé son droit à la libre circulation.
Pour en finir avec le « tourisme social »
Ces citoyens étrangers constitueraient en somme un fardeau insupportable, raison pour laquelle le moment serait venu de dire stop au « tourisme social ». Tourisme social avez-vous dit. Et quand pour attirer des Italiens, Marocains et Turcs dans les mines, la Fédération du Charbon tirait parti des taux de salaires, allocations, pensions et congés offerts en Belgique, n’était-ce pas du tourisme social ?
Cela étant, les chiffres disent que les citoyens « mobiles » (synonyme politiquement correct de migrants, réservé aux européens) sont des « contributeurs nets » au régime de protection sociale du pays d’accueil, et non une « charge ». C’est-à-dire qu’ils paient davantage de taxes et de cotisations de sécurité sociale qu’ils ne reçoivent de prestations. Ce point de vue est corroboré par des données communiquées par les États membres à la Commission européenne, montrant que les citoyens de l’UE ne recourent pas plus largement aux prestations sociales que les ressortissants de leur pays d’accueil. La Belgique n’a pas été en mesure de fournir ces informations, mais aux Pays-Bas, pour donner un exemple, le pourcentage de ressortissants UE bénéficiaires de prestations sociales (1,8%) est inférieur à celui de ressortissants UE dans la population nationale (2,3%)7.
Les chiffres de l’OCDE sont à ce propos encore plus précis8 : la totalité des contributions versées par les ménages issus de l’immigration (impôts et cotisations sociales) est supérieure à celle des prestations qu’ils perçoivent, dans la quasi-totalité des pays OCDE.
En Belgique (Tableau 1), cette « contribution nette » est en moyenne de 5 560 € par an pour un ménage né à l’étranger, 9 159 € pour un ménage né dans le pays, et 16 830 € pour un ménage mixte.
En conclusion, ces mesures restrictives de la liberté de circulation apportent-elles de l’oxygène à l’économie belge, que ce soit à court, moyen ou long terme ? Sont-elles en mesure de redynamiser notre marché de l’emploi ou rapporter de l’argent dans les caisses de notre sécurité sociale ? Détrompons-nous. Poser la question de l’efficacité de ces mesures, c’est être hors sujet : en réalité, ce qui compte, ce n’est pas l’effet des mesures, mais l’effet de l’annonce de ces mesures sur les perceptions du grand public.
Le mouvement naturel de populations, des pays où les systèmes de protection sociale sont moins avancés vers les pays où ceux-ci sont plus développés, est qualifié aujourd’hui de « tourisme social ». Et, pourtant, ce phénomène se résume facilement, lui aussi, à quelques chiffres, aussi simples que loquaces : pour financer son assurance-chômage, la Belgique investit en une année l’équivalent de 1050 € par habitant, et l’Italie moins de la moitié : 450 €. En Roumanie et en Bulgarie, cet investissement ne touche même pas le seuil de 80 € par habitant (tous ces chiffres sont indiqués en parité de pouvoir d’achat).
Son revers de la médaille, le « dumping social », représente, lui, une réelle menace, car le capital cherche à faire de plus en plus de profit en exploitant les différences de rémunérations et de réglementation du travail entre pays, sapant de manière fondamentale les droits des travailleurs, tant étrangers qu’autochtones.
Pour revenir aux mêmes exemples, le salaire minimum légal, qui est aujourd’hui de 1500 € en Belgique, est de 235 € à peine en Roumanie et sous la barre de 200 € en Bulgarie. En Italie ce pare-feu légal n’existe même pas. Ce qui est une misère ici est en somme une fortune là-bas.
Cette année 2016, la communauté italienne a célébré les septante ans du protocole « hommes contre charbon » conclu en 1946, présentant son immigration comme un modèle d’intégration particulièrement « réussi ». Eh bien, les Italiens qui venaient travailler dans les mines, étaient-ils plus talentueux que les Belges dans le creusement de la terre ou dans l’extraction du charbon ? Non, ils étaient moins chers. Et ils n’étaient pas syndiqués.
L’Europe de la libre circulation des travailleurs n’existera pleinement que lorsqu’elle disposera d’une sécurité sociale unifiée et, plus généralement, de normes sociales homogènes. La liberté migratoire des Européens ne sera vraiment acquise que lorsque leur mobilité cessera d’avoir des effets directs sur la rentabilité du capital (9).
(*) administrateur de “Bruxelles Laïque”
1) Précisons tout de suite qu’on parle ici de personnes résidant en Belgique depuis moins de cinq ans. Passé ce délai, tout citoyen UE devrait normalement pouvoir bénéficier d’un titre de séjour permanent.
2) Les expulsions pour abus et fraudes se limitant à quelques dizaines à peine, l’Office des étrangers ne les inclut même pas dans les mêmes tableaux statistiques.
3) Voir plutôt : Carlo Caldarini, « Belgique. Citoyenneté européenne : de la liberté de circulation à la liberté d’expulsion », Chronique Internationale de l’IRES, n° 153, mars 2016, pages 3-20 (http://bit.ly/28UpDiU).
4) Selon le droit européen, un citoyen ayant travaillé au moins un an dans son pays d’accueil, devrait pouvoir garder une fois pour toutes son statut de « travailleur », et par conséquent son droit de séjour.
5) Rtbf, 14 juillet 2016 (http://bit.ly/2fp05Jr).
6) « Toute personne qui réside et se déplace légalement à l’intérieur de l’Union a droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales », art. 34.2 Charte des droits fondamentaux de l’UE.
7) CE, Libre circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille : cinq actions pour faire la différence, Bruxelles, 2013.
8) OCDE, Perspectives des migrations internationales, 2013.
9) Carlo Caldarini, Henri Goldman, « Quand on expulse des Européens », La Libre Belgique, 4 mars 2016.